La liberté de circuler

Questions nationales et  internationales, inséparables, impliquent de lier les luttes trop souvent morcelées, une véritable mobilisation pour s’inscrire dans  les batailles idéologiques et suivre les discussions et textes du Parlement européen.

Marie-Christine Vergiat participe à l’animation de ce domaine ; ex-députée européenne, elle a une activité sur ces questions, depuis des années.

Elle a écrit plusieurs textes sur ce sujet montrant que la liberté de circuler et le droit à la mobilité est un « privilège » des gens du nord. La soi-disant crise des migrants ne concerne quasiment que de ressortissants du Moyen-Orient et de l’Afrique subsaharienne.

Voir son blog dans Mediapart, qui récapitule les termes et les enjeux.  https://blogs.mediapart.fr/marie-christine-vergiat/blog/031019/migrations-regarder-la-realite-en-face

Cet article, où sont résumés les effets des restrictions des libertés.

« Les droits et libertés sont la base de la démocratie »

Interview de Marie-Christine Vergiat , publié dans le journal METRO-BUS/ USR-CGT RATP en mai 2020.

1 – Depuis plusieurs années, à chaque mobilisation sociale, son lot de restrictions des libertés, votre appréciation ?

La régression de nos droits et libertés fondamentales est en œuvre depuis longtemps mais elle est devenue plus visible depuis l’état d’urgence de 2015.

Sans doute étions-nous trop habitués à les voir progresser depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Même si ces conquêtes, comme celles du droit social, ont souvent été plus complexes qu’il n’y parait.

La Déclaration universelle des droits de l’Homme a été adoptée en 1948 mais seulement par 50 Etats. Nous étions encore en période coloniale et à la veille du début de la Guerre froide.

Sans vouloir refaire toute l’Histoire, nous savons qu’entre la reconnaissance des droits et leur effectivité, il est nécessaire de mener beaucoup de combats. La question des droits des femmes est toujours là pour l’illustrer même si nous avons fait beaucoup de progrès depuis la Seconde Guerre mondiale.

Depuis les années 90

Depuis les années 90 et plus encore les années 2000, les exilés et notamment celles et ceux provenant des anciennes colonies et leurs descendants sont en première ligne de la régression des droits.

Souvenons-nous des « émeutes » de 2005. C’est la 1ère fois que l’état d’urgence a été appliqué sur le territoire métropolitain avec comme base des textes remontant à la Guerre d’Algérie et les violations des droits n’ont plus quitté les quartiers populaires. C’est là qu’ont explosé la montée des violences policières, les contrôles d’identité systématiques (au faciès), le remplacement de la police de proximité par des agents de la BAC…

Trop peu de monde a réagi à ce moment là et même chose en 2015 puisque cela ne concernait, au moins en théorie, que la population musulmane ou celle qui était supposée l’être.

Puis, peu à peu, notamment à partir de la répression des manifestations contre la loi El Komri, tous gouvernements confondus, a été distillé dans la tête d’une partie de nos concitoyens qu’il était normal que le « maintien de l’ordre » s’accompagne de violences. Oubliés les principes de finalité, de nécessité et de proportionnalité qui doivent guider l’action des forces de police.

Et l’on pourrait prendre de nombreux autres exemples.

 2 -Des mesures dites d’urgence deviennent permanentes ; face à ces abus, quelles actions ?

Fin 2017, effectivement, quasiment toutes les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence pour lutter contre le terrorisme en 2015 ont été transposées dans le droit commun. Les autorités administratives, et notamment les Préfets, peuvent désormais largement entraver les libertés d’individus sur lesquels pèsent uniquement des soupçons et ce, sans contrôle préalable du juge. Autant de mesures portant atteinte aux libertés fondamentales (assignations à résidence, perquisitions, fouilles systématiques dans certains périmètres…) que l’on a vu se déployer lors des manifestations des Gilets jaunes et qui sont de plus en plus généralisées.

Pour réagir, il faut sans cesse dénoncer, montrer que cela n’est pas normal et que les pays voisins notamment n’agissent pas de la sorte.

L’ONU, le Conseil de l’Europe et même le Parlement européen, alertés, ont dénoncé ce qui se passait en France au moment des manifestations des Gilets jaunes et c’est de nouveau le cas aujourd’hui.

Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire (EUS), nous ne cessons d’agir devant les tribunaux (du moins ce qu’il en reste) avec d’autres organisations, des avocats et des magistrats pour que tout le monde ait droit à un minimum de protection quels que soient son statut, sa nationalité, … car le plus scandaleux dans la période actuelle, c’est que ce sont les plus précaires qui sont le moins protégés et voient se renforcer leur vulnérabilité.

Nous devons donc sans cesse prendre date, ne pas nous taire, pour que personne ne puisse dire qu’il ne savait pas. Les droits et libertés sont la base de la démocratie. S’ils sont attaqués, tout régresse

3 – Coronavirus, le gouvernement décide de nouvelles dispositions restrictives des libertés, du droit social. Comment les analyser vous ?

La particularité de l’EUS c’est qu’il touche l’ensemble de la population. Nos libertés les plus fondamentales telles celles d’aller et venir ou de nous réunir ont été bloquées du jour au lendemain. Nous sommes toutes et tous assignés à résidence et soumis à des autorisations de déplacement dont la légitimité est laissée à la libre appréciation de la police. C’est une situation inédite.

Ce n’est que le 23 mars que le Parlement, réuni dans des conditions pour le moins discutables du point de vue de la démocratie, a voté les annonces présidentielles du 16 mars, mises en œuvre dès le lendemain. Des dispositions font peser des risques sur des droits sociaux sans rapport avec l’EUS. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat se mettent quasiment d’eux même entre parenthèses. La Justice est dans la quasi-impossibilité de fonctionner. On peut dire que la démocratie est mise en sommeil.

Et compte tenu des précédents, comment ne pas être inquiets pour le Jour d’après. C’est pourquoi nous demandons que l’indivisibilité des droits soit plus que jamais mise au cœur des combats de toutes et de tous sans hiérarchie entre les luttes

4 – Pour combattre le Covid19, le gouvernement veut créer des outils numériques de contrôle, d’identification, de « tracking » quels dangers ?

Le risque de « STOPCOVID », l’outil de tracking proposé, est d’ouvrir les fondements d’un système de surveillance généralisée sans que sa pertinence soit réellement démontrée surtout si sa mise en œuvre repose sur le volontariat. De plus, alors que les plus vulnérables au COVID19 sont les plus de 70 ans, seulement 44 % d’entre eux possèdent un portable. La protection ne pourra donc être que toute relative. Sans parler des risques pesant sur des données médicales auxquelles pourraient avoir accès de simples autorités administratives, de la pression sociale pouvant s’exercer sur les « réfractaires » ou de la stigmatisation des malades.

Nous connaissons malheureusement cette mécanique, pour notre bien, notre sécurité, des outils de plus en plus intrusifs sont mis en place et s’y opposer devient un manque de civisme quand on ne se retrouve pas accusé d’avoir des choses à cacher.

5 – Dans des pays s’installent des pouvoirs autoritaires, voire fascisants. Certains y analysent une « dé-démocratisation ». Est-ce un processus irréversible ? D’autres pouvoirs émergent-ils ?

Je n’ai pas de boule de cristal mais je suis persuadée que rien n’est totalement irréversible et que le retour au monde d’avant est illusoire.

Je pense aussi que le refus de condamner réellement les dérives anti-démocratiques de la Hongrie, puis de la Pologne par les autres membres de l’Union européenne fait partie de ce qui détruit le rêve européen tout comme bien sûr les conséquences sociales des politiques ultralibérales dont nous payons le prix aujourd’hui notamment dans les services publics.

Tout espoir n’est jamais perdu ; les résistances sont là mais ne prennent pas toujours des formes traditionnelles. On a cependant pu constater dans ces pays que, lors des dernières municipales, c’est l’opposition qui a gagné la plupart des grandes villes. Cela veut dire que les gouvernements en place s’appuient sur la population rurale, souvent moins bien éduquée et encore largement sous l’influence de l’Eglise. Reste à savoir ce qui va se passer maintenant puisque Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, a profité de la pandémie pour restreindre encore plus les droits et libertés, franchissant un nouveau pas vers un régime de plus en plus autoritaire.

Mais on a de quoi être inquiets car les dérives autoritaires qui frappent notre pays ont quelques points communs avec ce qui se passe dans les pays du groupe de Visegrad.

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